L’interview de Valérie de Changy

Dans le cadre du cours de français de M. Charneux, les élèves de 5ième Gym ont lu la nouvelle de Valérie de Changy : 20 ans. Pour toujours

Ils ont ensuite écrit à l’auteure pour lui faire part de leurs réactions. Ils lui ont aussi posé quelques questions auxquelles elle a répondu de manière très vivante grâce au procédé très moderne de la vidéoconférence. Voici l’interview.

Vos étonnantes descriptions et l’originalité de vos personnages nous ont à la fois plu et intrigués. Votre façon de faire sortir un portrait en quelques expressions est vraiment fantastique, nous pensons surtout à la belle et pointilleuse description de Marta, vraiment dans les détails (son habillement, son aspect, son maquillage).

La folie de Robert est très bien exprimée aussi : ce monsieur est calme au début et devient de plus en plus fou. C’est impressionnant comment il veut garder Marta pour lui et ses problèmes de santé (vertiges,…) à cause de son manque d’elle.

Beaucoup d’entre nous ont trouvé le titre excellent par rapport à l’histoire. La fin est bien, une fin qui nous laisse supposer ce qu’il va arriver à Robert, on peut imaginer n’importe quoi après cette histoire pour le moins macabre…

 Plaquette

À présent, voici nos questions.

Est-ce facile de travailler sur commande (comme pour cette nouvelle) ? Le thème des vingt ans vous a-t-il facilité la tâche ?

En fait, paradoxalement, c’est toujours plus facile d’avoir des contraintes, je trouve, en ce qui concerne l’écriture. Si on me dit : voilà, là tu as juste deux heures de temps et tu dois écrire sur telle et telle chose en respectant telle et telle consigne, ce sera plus facile que ce que je fais tous les matins quand je vais au travail et où je peux écrire ce que je veux sur ce que je veux. Sauf évidemment lorsqu’une histoire est mise en route puisque les personnages existent. Le roman commence déjà à être écrit, ça commence à être plus facile mais le plus difficile c’est finalement l’immense liberté qu’un écrivain a, où il peut inventer tout ce qu’il veut.

Donc dans ce sens-là ça m’a aidée mais pour tout vous dire j’ai complètement triché parce que quand on m’a demandé d’écrire un texte sur le thème des vingt ans, j’étais occupée à écrire le roman sur lequel je suis en train de travailler en ce moment et je n’avais pas très envie de m’égarer complètement et de réfléchir à quelque chose de nouveau. Et donc ce que j’ai fait c’est que j’ai réutilisé quelque chose que j’avais déjà écrit, j’ai beaucoup de textes comme ça que j’ai écrits et dont je n’ai jamais rien fait et j’ai juste un petit peu arrangé à la sauce « vingt ans » pour ainsi dire. C’est-à-dire que le texte que vous avez lu, pour moi c’était plutôt l’ébauche d’un roman. Donc j’avais ça sous le coude et j’ai décidé de l’utiliser, j’ai juste changé un petit peu la fin de l’histoire de manière artificielle en amenant cette histoire de gâteau d’anniversaire et de vingt ans pour toujours. Et donc, le thème que la « fureur de lire » m’a imposé, vingt ans, est venu rajouter à ma nouvelle cette autre thématique de l’éternité, le désir d’éternité qu’on retrouve quand même dans le travail du taxidermiste. Et je trouve que ce n’est pas exagéré, pas trop artificiel comme montage.

D’où vous est venue l’idée de la folie du personnage de Robert ?

Donc ce qui veut dire qu’il est fou d’après toi ? Ah oui !! A la fin évidemment, son geste… Il le devient, ce n’est pas quelqu’un qui est fou au début, il le devient et ce qui m’intéressait en fait dans cette histoire, c’était de travailler sur la jalousie et sur la possessivité, sur le fait que dans une relation amoureuse, parfois, une personne cherche à prendre pouvoir sur l’autre et l’amour parfois est tellement possessif, justement, qu’il en devient destructeur et il réduit en quelque sorte l’autre personne à être une chose. En fait c’est un petit peu cette métaphore que je raconte, il veut l’empailler parce qu’il veut l’avoir à lui, disponible tout le temps à côté de lui. Alors je ne sais pas s’il faut le prendre au premier degré, pour moi c’est un petit peu plus une métaphore même si du coup je le traite au premier degré, comme si effectivement il allait l’empailler. Voilà un début de réponse (sourire

Pourquoi avoir choisi Decize comme lieu pour votre nouvelle ? decize

Ah ! Pourquoi Decize ? Eh bien justement, c’est un peu par hasard ; c’est une petite ville que je connais située pas très loin d’un endroit où je passe beaucoup de temps quand je suis en France et c’est une ville qui est vraiment pour moi le… je ne vais pas dire que c’est le cauchemar parce qu’il y a de jolies choses dans cette ville mais c’est un peu une ville morte et il y a notamment quelque chose qui me plaît beaucoup dans cette ville, elle est traversée par la Loire et la Loire vous savez c’est un des seuls fleuves encore sauvages d’Europe, le lit de la Loire se déplace et Decize est traversée par plusieurs lits anciens de la Loire donc elle est complètement coupée par le passage de l’eau ou par des lits mais ça peut être très très large… le passage de la Loire doit faire peut-être cent mètres de largeur mais c’est très bizarre en fait car quand on va à Decize je crois qu’on passe le canal de Loire, le canal latéral à Loire, le pont de la vieille Loire puis la Loire et je trouve que c’est très poétique ; c’est un peu particulier, voilà, et puis c’est aussi simplement parce que pour une fois, ce n’est pas juste une méthode de travail pour moi mais pour une fois il se trouve que j’ai rencontré là-bas ce taxidermiste particulier, je ne lui ai pas fait lire ma nouvelle évidement mais voilà c’était un peu réaliste comme approche, pour une fois.

Avez-vous déjà eu l’envie d’empailler votre mari ???

93409436-renard-empaille Rire…

Attendez, je vais vous montrer quelque chose… Regardez ! Elle montre un bébé chien.

Rire…

Non, je rigole pour dire… elle est vivante celle-là, elle est vivante. Elle vient d’arriver, ça fait trois jours que je l’ai et je ne compte pas l’empailler. Non je préfère quand même ce qui est bien vivant et… non je n’ai jamais, non vraiment, vraiment aucune envie. L’idée d’avoir mon mari 100 % du temps à côté de moi, je n’en aurais pas du tout envie…

Non je rigole, je rigole mais bien sûr que non, quelle horreur ! Avoir euh… non pas du tout ! Ni aucun … En fait, j’ai des animaux empaillés chez moi par hasard parce que… parce que je ne sais plus quoi. Parce qu’un de mes chiens avait attrapé un tout petit renard et je l’ai fait empailler par ce taxidermiste… Et je ne sais pas pourquoi je l’ai fait. Ça me pose beaucoup de questions et je ne trouve pas ça très agréable mais… c’est comme ça. Bon enfin évidemment… empailler un être vivant quelle horreur ! J’ai… je ne sais pas c’est vrai que l’idée en elle-même est horrible ! C’est atroce d’avoir écrit une histoire pareille, je ne sais pas d’où ça vient. Je crois que quand on écrit, on a parfois des idées épouvantables qui sortent de je ne sais où… Mais euh voilà … Non non !

Ah !!! C’est pour ça en fait que vous vouliez m’interroger par Skype et que je ne vienne pas en direct ! Ah, oui vous avez raison !

Écrivez-vous depuis longtemps ? D’où vous est venue cette envie d’écrire ?

J’écris depuis longtemps et ça a commencé au début comme un journal intime. Un “livre” qu’on écrit tous les jours, ses pensées, les gens qu’on rencontre mais aujourd’hui, on en fait moins avec toutes les messageries, etc. On a d’autres manières de s’exprimer mais je faisais beaucoup sans ça et j’en avais besoin, pas pour vivre, mais pour réfléchir, pour comprendre ce que j’avais fait de la journée et pour comprendre les gens que j’avais rencontrés ; c’est un petit peu avec ces supports écrits que je faisais le point ; et puis après j’ai commencé à écrire des petites histoires, je ne peux pas dire que j’étais tout bébé ou que j’ai eu un grand passé d’écriture mais ça faisait partie d’un grand rêve, mais je n’osais pas m’y mettre sérieusement, c’est-à-dire que dès que j’écrivais quelque chose, je le détruisais. Dès qu’il y avait dix pages je le jetais à la poubelle. Et puis un jour, je me suis dit « ça suffit je ne vais pas attendre mon lit de mort pour réaliser mes vœux ». Je me suis dit que j’allais essayer, mon premier roman est sorti il y a deux ans : Fils de Rabelais mais je l’ai écrit il y a déjà huit ans et depuis huit ans j’écris tous les jours et j’essaye d’avancer là dedans.

Pourquoi ne pas être retournée habiter en Italie après avoir enseigné en France ? Sans indiscrétion bien sûr, pourquoi être venue en Belgique ?

Ce sont les hasards de la vie qui m’ont amenée ici et j’aimerais bien encore voyager, j’aimerais bien aussi aller ailleurs quand il fait beau comme ça en Belgique je trouve ça super ; j’adore la Belgique mais j’avoue que chaque hiver j’aimerais bien aller habiter en Espagne ou en Italie donc on verra bien, la vie n’est pas finie et je pense que j’irai dans d’autres pays plus tard. Ma famille est en fait beaucoup plus belge que française parce que ma maman et toute ma famille maternelle était belge et la moitié de ma famille paternelle est belge aussi donc moi je suis française et les trois quarts de ma famille sont belges. Ce n’est pas très exotique encore mais c’est vrai que oui, ce sont ces quelques pays-là, en tout cas ces trois pays qui sont importants pour moi. Personnellement, je me sens chez moi dans de nombreux pays d’Europe mais j’aime bien les particularités de chaque pays, je trouve ça un peu dommage, ces particularités-là sont de plus en plus gommées et moi j’aime justement que chaque chose ait sa spécificité

Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours ?

Actuellement, j’écris la suite de Fils de Rabelais que j’ai rédigé il y a déjà quelques années ; j’ai repris les personnages que j’ai créés et beaucoup de mes lecteurs m’écrivent en me demandant ce qui va leur arriver, ce qu’ils vont devenir. Je crois (j’espère) que j’ai progressé dans mon écriture et que je donne plus de rythme à l’intrigue et un côté plus vif aux personnages, comme s’ils étaient passés à la vitesse supérieure, ce qui rend mon travail plus amusant. J’utilise beaucoup de documents historiques : le livre que je suis en train d’écrire se passe au XVIe siècle à Florence en Italie ; pour trouver mon inspiration, je vais d’ailleurs va partir quelques jours à Florence (c’est pas mal, le métier d’écrivain !) pour mieux sentir le cadre de l’histoire. En effet, c’est l’histoire d’un homme qui part à Florence au moment de la découverte du sucre qui est en plein expansion ; il devient confiseur et le sucre à cette époque est un moyen à la mode pour gagner beaucoup d’argent. Mon personnage, Justus, vit une série d’aventures, comme les autres protagonistes – Blanche et Rabelais – qu’il va retrouver après bien des péripéties. Entretemps, j’ai aussi écrit un thriller qui est forcément beaucoup plus noir et qui n’est pas édité pour l’instant.

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